De la mesure

L'autre jour, oui c'est ça, l'autre jour, assis à la terrasse d'un débit de boisson, j'attendais mon café. Ce que d'aucuns appellent un expresso, nom qui n'est en rien la promesse d'un service rapide. Donc, j'attendais ou je patientais, je ne sais plus trop. En attendant, je feuilletais le journal. Comme d'autres qui, en mangeant une religieuse, commence par lécher le glaçage, je me contentais de lire les titres. Je commence toujours (j'aime bien ces débuts de phrases à caractère définitif qui ont autant de valeur qu'une résolution de l'ONU) par la fin. Avec gourmandise, je peux voir le nombre de pages qui me reste à feuilleter. Je ne feuillette jamais d'un seul tenant. D'un geste sûr, j'opère des pauses. Je retire mes lunettes et observe les passantes, l'esprit traversé de pensées qui me vaudraient la castration si elles étaient interceptées par une féministe. Et donc, ce matin là, puisqu'il s'agit d'un matin, sur ma gauche, un homme que déjà la vie précipitait vers la mort, parlait dans son portable. Il parlait fort, jusqu'à s’immiscer entre les titres du journal. Il parlait tant et si fort que son interlocuteur ne semblait pouvoir en placer une. De quoi parlait-il? De quoi un homme peut-il parler avec fierté et vantardise? Soit de sa bite soit de sa voiture. Vu son âge, il en était réduit à évoquer les voitures. Précisant le modèle et l'année, il informa la terrasse qu'il possédait deux jaguars et une Alfa Romeo. Puis, il nous gratifia de remarques passionnantes sur les moteurs et leur réglage qui se faisait au millimètre.

Quelque peu excédé, je me levai et le temps de dire ça c'est la tête de delco, je me retrouvai face à lui. Alors qu'il levait vers moi un regard étonné, je me saisis de son téléphone. Mais dites donc, bafouilla-t-il. Je l'informai que si j'étais l'heureux propriétaire d'un piston en état de marche et d'une taille bien supérieur à la moyenne, cette pudeur qui sied si bien à l'élégance m'avait toujours protégé de toute vantardise, ce qui ne semblait pas être son cas, ce qui caractérisait le mâle en mal de confiance lui. Je lui rendis son objet lui précisant qu'il était temps pour lui de couper le moteur.