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Objectif négatif
8 mai 2020

Equilibre

Dans une demeure privée, l'ameublement de cette salle sans fenêtre aurait été qualifié au choix, de sobre, de minimaliste, de spartiate, voire de fonctionnel. Là, une telle préoccupation ne venait pas à l'idée. Soit parce que la personne qui entrait était fatiguée, soucieuse, inquiète, apeurée. Soit parce qu'elle ne voyait rien d'autre que l'individu qui se trouvait en face. Quatre chaises et une table rectangulaire éclairée par une ampoule. Des murs d'une couleur proche du blanc. Une glace qui semblait fixée au mur situé près de la porte. Assise, Jeanne y voyait son visage. Elle attendait en silence. Elle n'avait rien préparé.
Elle essayait de se souvenir de la première fois. De la première fois où elle l'avait rencontré. Depuis quelques jours, sa mémoire avait des ratés. Surtout quand il s'agissait de Pierre. Probablement lors d'un mariage. De l'église jusqu'à la soirée dansante, en passant par le vin d'honneur, cela donnait éventuellement le temps de choisir. On pouvait observer tout à loisir, faire quelques approches, entamer une conversation sans pour autant donner à penser que l'on était prête à aller plus loin. En d'autres termes, on peut s'adonner au butinage.
Avec Pierre, j'avais opté pour l'option badinage. Sans que ce soit un coup de foudre, je l'avais remarqué sur le parvis de l'église, ce moment de retrouvailles où officiellement personne n'a changé quand nos pensées expriment le contraire. Je l'ai retrouvé au vin d'honneur qui avait lieu dans un verger au milieu des arbres en fleurs. Quoi de plus romantique pour une jeune fille. Après plusieurs rapprochements à la légèreté printanière, il m'embrassa lors d'un slow comme seules les fins de soirée nous en offrent.
Nous nous sommes revus. Et je me suis retrouvée mariée. J'en ai pris conscience quand je me suis retrouvée dans la chambre pour la nuit de noces. L'impression d'avoir dit oui sans réfléchir. Prise dans un mouvement qui m'avait entraînée jusque dans ce lit où Pierre m'attendait. Comme le disait ma mère "Oh, ne vous inquiétez pas, elle s'adapte facilement". Alors, j'ai opté pour l'adaptation. Mais comme pour tout ou presque, chaque situation connait ses limites.
Bien que cela ne puisse être détecté dans ses relations avec l'extérieur, Pierre était un homme d'ordre. Chaque chose devait être rangée bien à sa place. Il ne supportait pas la poussière sur les meubles, une tasse qui traîne dans l'évier, un faux-pli sur une chemise. Il jeta par dessus la rambarde les quelques fleurs que j'avais mises pour décorer le balcon. Il n'aimait pas ce qui "encombrait". J'étais responsable de la tenue de l'appartement. Au début, Pierre m'adressa de simples remarques à propos de ce qui de son point de vue n'allait pas. Puis ce furent des reproches, par la suite accompagnés d'invectives, de propos humiliants. Et un jour, il finit par m'asséner une claque. La sidération me laissa sans réaction si ce n'est les larmes. Avec le temps, il ne s'embarrassa plus de prétexte pour me frapper. Je ne m'adaptais plus, je subissais.
Le dimanche midi, avant le déjeuner, il avait l'habitude de boire un verre sur le balcon. L'idée me vint un jour de printemps. La brise faisait remonter le parfum des arbres qui longeaient le fleuve. Quelques nuages blancs apportaient un peu d'ombre. Je me serais bien allongée pour bronzer. Je fis remarquer à Pierre, qu'à la réflexion, c'était mieux de ne pas encombrer le balcon de choses inutiles.
"Donc Madame, vous maintenez que votre mari a accidentellement basculé par dessus la rambarde du balcon?"
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