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Objectif négatif
2 mai 2020

Tout compte fait

"J'aime mon mari", leur avais-je répondu. Sans réfléchir. C'était une sorte de mantra. Une protection. Une version conjugale du vade retro Satanas. Je ne sais par quel cheminement, quelque temps plus tard j'en vins à m'interroger sur le sens de cette phrase, presque une interjection. Pouvait-elle résumer une vie? Comme ça, telle quelle, à force d'être répétée, elle n'avait plus aucun sens. Elle devenait une justification, un passeport pour la tranquillité sociale. La vertu brandie derrière laquelle se dissimulaient mon manque de courage, ma peur. Dans ma bouche, cette phrase devenait une convention.
"Et alors? Et même, raison de plus" me répondirent mes amies. Nous nous réunissions régulièrement. Chez l'une, chez l'autre. Parfois au restaurant. Nous avions toutes au moins dépassé la cinquantaine. Avec plus ou moins de bonheur. Avec un peu de honte mais rassurée, je constatais que, comparée à d'autres, je m'en sortais plutôt bien. Je m'estimais non dénuée de charme. Il m'arrivait encore, me semblait-il, d'accrocher le regard d'un homme.
Nos vies s'assoupissaient gentiment. Nous parlions livres, cinéma, musique. Plus rarement théâtre ou arts plastiques. Nous étions un cercle qui reproduisait le Masque et la Plume. Pour autant, nous nous gardions bien de nous prendre pour des critiques de ceci ou de cela. J'aimais retrouver ces femmes. Habituellement, nous n'abordions jamais la vie personnelle. Tacitement, l'intimité le restait. Nous étions ainsi à l'abri d'une intrusion, d'une question embarrassante.
L'une d'entre nous, hors actualité, souhaita nous parler de L'amant de Marguerite Duras. Nous l'avions toutes lu, me sembla-t-il. Tout a commencé ainsi. Après un débat strictement littéraire, Hélène donna un tour plus charnel à la conversation. De l'avantage d'avoir un amant. Chacune donna son avis, ses envies. Ne trouvant rien à dire sur le sujet, je restai coite. Hélène finit par me demander "Et toi Marie, ça ne te dirait pas un amant? Je connais un bar où l'on peut faire des rencontre éphémères. Pas d'engagement, pas de sentiment". Elles tentèrent de me convaincre que cela pouvait introduire de la fantaisie dans mon couple, de faire des découvertes. Rentrant à la maison, je ne pus m’empêcher de repenser à nos échanges. Bien sûr, avec Laurent nous n'avions jamais fait que frôler le septième ciel. Mais l'amour, ce n'était pas que ça. Ça. Que de choses se dissimulaient dans ces deux lettres.
En attendant la réunion mensuelle, ce qui n'avait été qu'une question devint une obsession. Je luttais. Mon mari était gentil, attentionné. Il entretenait son corps. Il lui arrivait d'être drôle. J'étais une bonne épouse. Mariage, amour, fidélité
gardaient toute leur valeur, leur sens. Bon, ce n'était pas la passion mais je me sentais rassurée. Mais la tentation demeurait.
Après notre réunion, qui en revint aux fondamentaux du débat culturel, je m'arrangeai pour faire un bout de chemin avec Hélène. Je ne savais pas trop comment aborder le sujet. Je sentais que le mieux serait de lui demander directement l'adresse du bar. Sans chercher à me justifier. Alors que dans ma tête, je testais plusieurs formulations pour faire ma demande, Hélène me devança.
"Tu sais Marie, nous ne te l'avons jamais dit, mais les filles et moi nous t'admirons. Pour nous, tu es un exemple à suivre. Tu aimes ton mari, il ne te viendrait pas à l'idée de lui être infidèle ne serait-ce qu'en pensée. Nous t'envions de toujours tant aimer Laurent. Tu vois, j'ai beau avoir des aventures mais au fond de moi je t'envie, j'envie ton bonheur."
Je fis halte chez le boucher pour récupérer ma commande.
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