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Objectif négatif
29 avril 2020

Rien vu

Il y a quelques semaines, si vous m'aviez demandé ce que je n'aime pas chez lui, j'aurais été bien en peine de vous répondre. Et puis je serais passée à autre chose, pas le moins du monde troublée. Pourquoi s'encombrer? Et puis les temps ont changé. Ou plutôt, avec le confinement, le temps que nous partagions avec les autres s'est arrêté. Pas au début. Pendant quelques jours, nous sommes restés dans l'élan de la vie quotidienne. Nous fonctionnions avec l'énergie accumulée. Nous faisions comme si. Il fallait le voir comme une façon de s'adapter.
Et puis, nous avons ralenti. Nous évoluions dans la mollesse. Je me disais que j'allais avoir du temps. D'une certaine façon, nous allions fabriquer notre temps. Mais un temps sans aspérité. Un temps discret. Pourtant, malgré nous, de nouvelles habitudes se sont mises en place. Sans formalité. Peut-être pour préserver un sens. Alors que je rêvais d'un temps sans à-coup, nous l'avons découpé. Des morceaux de temps. Nos journées ressemblaient à des puzzles. Même si je n'avais pas grand chose à faire ou même rien, ce découpage m'oppressait. Les journées m'échappaient.
Un matin, je me suis dit que j'allais recoller les morceaux. Il ne serait plus jamais l'heure de quelque chose. Plus d'emploi du temps. Plus de tic tac. Après quelques jours de tâtonnement, je me sentis libre. Par contre, lui continua à vivre comme avant. A chaque moment sa destination. Nous avons fini par ne plus vivre dans le même espace-temps. J'attendais. Je traînais. Je m'ennuyais. Je regardais. Je me souvenais. Je me racontais. Je feuilletais. Plus de besoin. Que des envies.
Je pris le temps de le regarder, de l'observer. Quand il mangeait. Quand il bougeait. Quand il dormait. Avec soin, je détaillais son visage. Son front. Ses yeux. Son nez. Sa bouche. Cela finissait par former un tout que je ne reconnaissais pas vraiment. Je ne saurais comment l'expliquer, son visage me devenait étranger. Malgré la destructuration de mes journées, nous parvenions à nous parler. Des conversations de surface, faites de riens. Des dialogues en pilotage automatique. Rien qui aurait pu nous engager, créer une friction. Un matin, je le vis sortir de la douche. J'eus beau me dire que, comme pour tout le monde, les années s'étaient accumulées, je ne pus m'empêcher de penser qu'il se laissait aller. Je détournai les yeux. "Ça ne te dirait pas que l'on prenne une douche ensemble?" "Hein?". Je ne le désirais plus.
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