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Objectif négatif
7 juin 2020

Mise en scène

Il y a bien longtemps, j'ai perdu ma dignité. Toute ma dignité. Il ne m'en restait plus aucune trace. Même si l'on avait mis les experts à Miami sur le coup, ils n'auraient pas été foutus d'en trouver le moindre échantillon. Comme les empreintes digitales, chacun a sa propre dignité. Il en traîne sur toutes les scènes de crimes.
Ma vie était une scène de crimes. J'ai assez tôt considéré la dignité comme encombrante. Suffisamment pour m'en débarrasser. A quoi sert-elle au quotidien? Elle entretient la mauvaise conscience. Elle permet aux autres d'asséner d'une voix exprimant le dégoût "Tu n'as vraiment aucune dignité". Qu'on se le dise une fois pour toute, je n'ai aucune dignité et je ne m'en porte que mieux.
D'ailleurs, avant que de bonnes âmes choquées ne me fassent remarquer que j'en étais dépourvu, j'ignorais posséder une quelconque dignité. Oui bien sûr, pendant quelques années, ma vie fut régie. Elle fut régie par des principes, des valeurs, des règles, des interdits, des limites, des commandements, des injonctions. Pour résumer, j'avais peur. Peur de mal faire. Je me croyais obligé de me faire mal. Ils m'avaient appris à avoir peur de la vie.
Tout cela ne m'empêchait pas d'avoir des envies, des désirs en tous genres que certains rangeaient dans la catégorie mauvaises pensées. Mais comme des objets célestes condamnés à tourner sans fin dans le vide, ces pensées tourbillonnaient dans mon cerveau. Il leur arrivait de se percuter, de se mélanger pour donner naissance à des monstres de consanguinité.
Et un jour, mon crâne a cédé. Toutes mes turpitudes ont déferlé comme des hordes de Huns à travers la steppe réclamant jouissance et volupté. Je me mis à boire jusqu'au coma pour finir la nuit baignant dans mon vomi. Je baisais à couilles rabattues n'importe où avec n'importe qui. Je n'arrêtais pas de me choper des trucs et des machins dont avec le temps j'avais de plus en plus de mal à me débarrasser. Je mangeais gras, sucré, salé. Mon bide finit par passer par dessus ma ceinture à laquelle je rajoutais régulièrement un cran. Je me foutais de ce que pouvaient penser les autres. Je devins, ma foi assez rapidement, une grosse et vieille baderne puant la transpiration recuite, la vinasse et laissant s'échapper par tous ses orifices les fermentations putrides et autres fluides.
Un soir, couché dans un passage souterrain dont l'odeur d'urine s'épanouissait avec la chaleur de l'été, provenant de ma poitrine où s'épanouissaient deux seins graisseux, une douleur violente me secoua. Je ne pouvais plus respirer. Je tentai de me redresser mais mon poids m'en empêcha. Je ne pouvais plus bouger. La nausée envahit ma bouche, mon nez. Comme s'il voulait m'aider et s'en tirer à tout prix, mon estomac éjecta un flot grumeleux de couleur brunâtre composé de vin, de bière, d'alcool divers et d'un kébab frites en cours de digestion. Je finis par m'endormir, la joue baignant dans une sorte de purée tiède et gluante.
Plus tard, bien plus tard, je fus réveillé par une odeur de désinfectant. Avec sa machine à brosses, un employé communal avait entrepris de nettoyer le souterrain. Je décidai de partir à la recherche de ma dignité.
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