Un matin au marché

Ce matin, après une nuit comme un trou noir qui engloutirait mes rêves, j'entre dans la cuisine et ouvre le réfrigérateur. Une sorte d'habitude, de réflexe qui pourtant ne provoque aucune salivation. Quelques produits laitiers, bocaux que l'on regarde avec une bienveillante lassitude. Dans la porte, des bouteilles qui sont là depuis... A chaque fois je me dis qu'il va falloir les balancer. Déçu de ne pas voir de jus d'orange, je referme. Pour m'en assurer, je l'ouvre à nouveau comme si je comptais sur un effet de surprise pour le débusquer planqué derrière une bouteille de cidre éventé depuis le dernier réveillon. Las, je vais devoir sortir. Fripé dans des vêtements froissés, je suis dans la rue. Je croise un couple en habits du dimanche. Des visages auxquels s'accrochent les restes d'une nuit. Des protubérances houbloneuses. Des mollets touristiques.
Mon sac de toile et moi sommes devant l'épicerie pour constater qu'elle est fermée. Adepte de la méditation pleine conscience, je ne laisse rien paraître. J'offre un paisible sourire aux passants. C'est d'un pas souple et léger que je me dirige vers le marché. Je me retrouve devant les étals des producteurs locaux. Il est encore assez tôt pour éviter les queues éléphantesques. Alors que je regarde poireaux, carottes, courgettes, concombres et autres oignons, j'entends un des serveurs demander à une cliente "Je vous mets quelle taille?". Après une légère hésitation, accompagnée d'un charmant sourire elle lui demande s'ils parlent bien de la même chose. Il lui répond d'un regard étonné. Certainement pour éviter que la gêne ne prenne trop d'ampleur, elle lui suggère de lui mettre le plus long, s'étant assurée auparavant que la conservation à température ambiante était d'au moins une semaine.