Un soir au cinéma

Alors que je n'en pouvais plus d'être petit, un livre attira mon attention. Un livre de poche encore trop grand pour la mienne. Tellement de choses étaient encore trop grandes. Pendant longtemps il fut posé sur le rebord d'une fenêtre. Desséché par le soleil et jauni par sa lumière, la couverture laissant apparaître la première page, il semblait bailler d'ennui, livré à la solitude et à l'indifférence. Je ne sais pourquoi il avait fallu toutes ces années, toutes ces allées et venues pour que je le remarque. Une question de hauteur peut-être. Sur la couverture couleur sable, un personnage aux contours incertains que l'on devine être un homme. On pourrait croire qu'il marche. Je ne savais pas vers quoi. En lettres noires, le titre. L'étranger. Ce n'est que quelques années plus tard que je lirais la première phrase. Aujourd'hui, maman est morte. 

C'est comme ça que, sans trop savoir pourquoi, je me retrouvai dans le hall où, toujours vivante, j'aperçu Annie. Après avoir parcouru le couloir et gravi les marches deux par deux (la prochaine fois, j'essaye trois par trois), je pris place dans la salle 6 pour voir Frost de Sharunas Bartas. Je ne vais pas tourner autour du lance-roquette, j'ai aimé. Encore un film qui aurait pu s'intituler Toutes les nuances de gris. Le temps, le ciel, l'horizon, les paysages, les personnages. Tout est gris dans ce voyage à caractère humanitaire entre la Lituanie et l'Ukraine en guerre. Quant à lui, comme ces traînées de suie qui zèbrent les bâtiments en ruine, l'avenir est noir. Une description de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus absurde. Comme une tragédie, c'était écrit. Le héros ira jusqu'à précipiter l'inéluctable dans son désir d'être au plus proche de l'irréversible. Un voyage à travers l'aveuglement ponctué de désespérance que même l'amour ne parviendra pas à sauver. C'est dire.

Bon bah voilà. Si ça passe encore, je vous le conseille. Ensuite un verre de vodka pour faire passer l'assiette de goulash.