Quand j'étais petit

Quand j'étais petit et plus tard, j'ai joué au rugby. C'est ce que l'on appelle un sport de contact. A cette époque, ce qui est difficilement imaginable aujourd'hui, j'étais un jeune homme svelte à la musculature nerveuse doté d'une accélération fluide (je vous assure). Il n'était alors pas question de grosses brutes au cou de taureau dénuées de subtilité, d'imagination et d'élégance. Les avants avec leur physique débordant et leur camaraderie tactile étaient une ode à la troisième mi-temps pendant laquelle les arrières tentaient de rattraper leur retard.

Le rugby était considéré comme un sport d'homme où se révélait la quintessence de la virilité. L'affirmation de cette virilité se retrouvait dans les gestes, les attitudes et les mots. Avant chaque match, l'équipe formant un cercle se regroupait pour écouter le mot du capitaine. Ça commençait toujours par bon bah les gars et ça finissait par on n'est pas des pédés avec parfois la variante on n'est pas des tarlouses. Cette affirmation dont personne n'aurait su expliquer ce qu'elle signifiait exactement ni à quoi on pouvait reconnaître le dit pédé sur un terrain de rugby, ne soulevait aucune remarque de notre part, jusqu'au jour... Jusqu'au jour où à cette affirmation on n'est pas des tarlouses un des joueurs répondit si, moi. Le silence alors se fit. Aucun de nous n'osait plus bouger. Après quelques secondes de flottement, le capitaine termina la causerie d'avant match par un bon bah, on voit ça après le match. Bien sûr, après le match, nous n'avons rien vu. A la suite de quoi la dernière phrase du capitaine devint, bon bah les gars, on leur rentre dedans, ce qui permis à quelqu'un de glisser, on est pourtant pas des tarlouses.